mercredi 2 mars 2016

En revenir – Marathon de Rimouski, partie III




Tu veux pas faire la course?

Non… je veux inviter Thomas…

Ouf. Moi j’avais prévu qu’il dormirait, les premières heures, dans la poussette.

Bon, regarde Philip. Ça sera pas possible de voir Thomas aujourd’hui, mais on va organiser quelque chose avec lui quand on va revenir à Montréal. Là, essaie de fermer tes yeux et de faire un petit dodo, t’as pas beaucoup dormi, cette nuit. Veux-tu que je baisse ton banc?

Oui… 

Alléluia.

On repart. En peu de temps, il s’endort. J’en profite pour accélérer un peu la cadence, pour écouter de la musique… je me fais passer par un camion qui, visiblement, transporte les bornes kilométriques (qui n’étaient pas encore installées à l’heure de mon départ)… la première que je vois est celle du 15e kilomètre. Enfin, au 18e kilomètre, je croise une première bénévole!

BONJOUR!!!

Je suis tellement contente de voir une humaine!

Puis je croise l’homme qui a pris le départ non officiel quelques minutes avant moi. Il marche. On se salue. Je vois dans ses yeux qu’il est ailleurs. Il a franchi la première moitié du marathon, son esprit n’est pas à la même place que le mien.

J’arrive au 21e kilomètre, quelques bénévoles sont là, je prends le temps d’aller aux toilettes, le chrono indique que le départ officiel a été donné 30 minutes plus tôt. Ça fait donc 3 heures qu’on roule. Je sais pertinemment que la deuxième moitié de l’aventure ne me prendra pas 3 heures (mais bien plus). Philip se réveille, on a parlé trop fort alors que j’expliquais justement au bénévoles que j’en profitais pendant qu’il dormait… Les bénévoles me parlent du gagnant du marathon de l’an dernier, l’ultramarathonien Sébastien Roulier. Il avait couru le marathon avec une poussette, et avait fait un switch d’enfant au 21e kilomètre. Je me dis intérieurement : « Ouain, c’est plus raisonnable, ça. Ça fait une balade d’une heure et quelque par enfant… ».

Philip a faim. Heureusement, j’ai un garde-manger au complet dans la poussette. Il veut manger son sandwich aux œufs avec ses mitaines. Les mitaines orange. Non. Pas les orange rayées, les autres. Ouf. J’avais prévu le coup. Pas de crise de mitaines. 

Vers le 23e kilomètre, Philip s’exclame : « Maman! Une moto! ». Mais oui, c’est le premier marathonien! Il en est à peu près à 19 kilomètres… il nous dépassera une vingtaine de minutes plus tard, car le parcours est un aller-retour.

Je commence donc à croiser les autres marathoniens… et c’est qu’ils sont rapides, les premiers! On se fait un petit signe de la main, on se lance un petit mot d’encouragement. Je sors de ma bulle. Je salue toutes les personnes que je croise… mais là, je commence à râler, parce que 1) Je suis emballée par le rythme rapide des marathoniens de tête, 2) Je lâche la poussette d’une main pour les saluer, poussette qui, ne l’oublions pas, souffre d’une crevaison et a une propension vers la gauche… j’ai besoin de mes deux mains pour la garder dans sa trajectoire, 3) J’ai maintenant le vent de face.

J’ai trois amies qui sont sur le parcours, je sais que je vais les croiser bientôt. La première que je croise est Annie. Elle me fait des grands gestes de loin. Je crie « C’est Annie?!? » «OUI!!! ».

On se salue, on se donne deux becs (il me semble), et on repart. Ça me donne une nouvelle énergie. Philip est content aussi. Il y a de l’action, les gens qu’on croise nous saluent et s’adressent à Philip aussi. Il y a comme une effervescence qui monte. Quand je croise un petit peloton, je leur envoie des « wouhooooo, lâchez pas, vous avez le vent dans le dos!!! ».

Soudain, j’aperçois un coureur qui porte le chandail de l’ultratrail du mont Albert. Je crie « WOUHOUUUU MONT ALBERT!!!!..... MAURICE?!?!!!! »

Maurice!!! Un homme que j’avais rencontré avant le départ du kilomètre vertical du mont Albert, quelques mois plus tôt! « SOPHIE!!! ». Il se souvient de moi! On ne s’est parlés qu’une seule fois! On s’embrasse, on s’encourage pour la suite… « MÉLISSA!!!!! » Je saute dans les airs, je crie! Mon amie Mélissa est là, on s’embrasse, elle me demande comment ça va, et je lui réponds « Mon marathon commence, là ». Je suis autour du 25-26e kilomètre. Je n’ai jamais encore couru une telle distance. Ne l’oublions pas, je suis une marathonienne impostrice qui ne s’est pas entraînée comme il se doit.

Je quitte Mélissa, et une minute ou deux après, je croise Geneviève. Saut, cris, joie.

C’est fini. J’ai croisé tous mes amis. J’ai un petit cadeau surprise de mon amie Véronique à ouvrir au 30e kilomètre, mais il n’arrive JAMAIS, ce 30e kilomètre. Je suis rendue à l’étape où je sacre. J’alterne course et marche de plus en plus fréquemment.

Enfin, petite halte au 30e. Philip ouvre la petite surprise. Il s’attendait probablement à un jouet. Il est déçu. C’est une petite figurine censée nous faire rire, mais dans mon état, tout ce que je trouve à dire c’est « Estie de Véro » (je l’ai ri après).

Courir un parcours aller-retour peut sembler un peu déprimant, mais pas quand ce parcours longe le bord de la mer. Voir un phare, un clocher d’église au loin sur le chemin du retour est un repère, un signe qu’on revient bel et bien (de loin).

Nous arrivons au phare de Pointe-au-Père. Petit arrêt. Philip a mal au ventre. Je mets ma main sur son ventre. Ça lui fait du bien.  J’ai une autre surprise à ouvrir. Sur l’emballage, c’est écrit « C’EST ASSEZ ». Véronique m’a dit de l’ouvrir quand je me dirais « C’EST ASSEZ ». Ça fait des kilomètres que je me dis que la prochaine fois que Philip me parle des sabres lasers ou de Thomas, que ce sera assez… puis chaque fois, je repousse. Là. C’est assez. J’ouvre. Une paire de bas. Haha! Philip est suuuuuuper déçu. Moi je ris!

« Maman…. j’ai envie de caca ». Ben oui. Heureusement, il y a une toilette chimique. Philip a peur dans la toilette. Pendant que je l’aide, il s’impatiente et s’adresse à moi sur un ton blessant. Scène un peu absurde. Moi, en petit bonhomme, je le tiens fort pour ne pas qu’il tombe dans le trou pendant qu’il fait caca et je lui explique qu’on est en train de faire quelque chose de difficile ensemble… mais que c’est important de rester gentil l’un envers l’autre, que ça me fait de la peine quand on me parle comme il l’a fait.

Un petit « jus » pour Philip. les bénévoles sont en amour avec lui et lui demandent « Est-ce que tu vas courir, toi? »

« Oui!!! »

Alors nous repartons, Philip qui court à côté de moi… je suis contente, ça fait plusieurs fois que je lui propose de courir, mais il ne veut pas.

Mais son corps s’emballe et veut courir plus vite que ses pieds. Il tombe. Il est nu mains, il fait 5 degrés, l’asphalte lui érafle les mains. Il pleure. Évidemment. 

Nous sommes à 10 kilomètres de l’arrivée. Le plus long 10 kilomètres, me semble-t-il, de ma vie.

Je le rassois dans la poussette, j'essaie de le consoler en lui expliquant que dans la vie, il y a des choses qu’on fait qui sont difficiles, et que là, on fait un marathon ensemble et que c’est difficile, mais qu’il faut être courageux. Je lui demande s’il peut être courageux. Il me dit que oui. Je lui dis qu’on a presque fini… mais que ça va être encore long… ce 10 kilomètres ne me prendra certainement pas une heure… je me sens si loin…

Je me sens si… égoïste. J’ai pensé juste à moi. Mais à quoi ai-je pensé? Faire subir un marathon à un enfant de même pas encore 4 ans? je suis folle ou quoi? Quelle mère ingrate je fais. Imposer à mon enfant UN MARATHON. 

Je poursuis donc ma route accompagnée de ce sentiment d’ingratitude et d’imposture… je cours jusqu’au poteau, je marche jusqu’à l’arbre… parfois même je ferme les yeux en marchant. Je pense même que je dors en marchant.

Philip ne parle plus. Il a « pris son trou ». Il a compris qu’il était pogné là dans sa poussette pendant encore un bout. Il boit du Gatorade aux stations. Je me déculpabilise en lui offrant « du petit jus »…

Au 39e kilomètre, avec Lauryn Hill dans les oreilles, je me mets à courir en chantant, les grosses larmes qui dégoulinent en même temps. Je suis dans un état… autre. Je m’en fous. Je chante. 

Let me be patient, let me be kind, make me unselfish, without being blind… be alriiiihgt, be alriiiight….

On arrive! 

La chanson « de Véronique » qui joue. Je me dis « celle-là je la cours au complet. Pas le droit de marcher ».

C’est le dernier droit. J’offre à Philip de sortir de la poussette pour courir pour aller chercher sa médaille. Parce qu’elle est à lui, hein. 

Il ne veut pas sortir, il veut aller chercher sa médaille dans la poussette. Oh well, ce sera comme ça.

Près du fil d’arrivée, il y a de plus en plus de monde et, bien sûr, je suis investie d’une nouvelle énergie… Patrick est là, il court les derniers mètres avec nous.

Il est midi 47. Ça nous aura donc pris 6 h 47 pour aller au bout du monde et en revenir. Philip fait encore la baboune. Je me pioche encore sur la tête. Je suis une mauvaise mère.

Il ne faut pas que je m’asseoie, sinon je ne pourrai pas me relever. On remonte donc un peu en amont du fil d’arrivée pour surveiller nos amis qui arriveront bientôt. Il y a de la musique. On a une cape de métal. On danse. Philip retrouve le sourire. Il danse, sa médaille au cou. Il fait soleil et 10 degrés de plus qu’à notre départ.

Philip me laisse sa médaille pendant qu’il va faire pipi avec Patrick : « Tiens. Tu peux surveiller ma médaille, si tu veux ». 

Je suis heureuse, il est heureux, même fou de joie.



***

J’en ai pris, du temps avant de réussir à terminer ce récit. Au début, je croyais que ça allait me prendre 42,2 jours pour l'écrire. Non.

C’est long, digérer un marathon.

Je voulais surtout être bien certaine d’écrire sur l’après marathon... et puis par bouts, je n'avais simplement pas envie de l'écrire. Parce que le récit de l’expérience comme telle, c’est une chose, mais ce n’est pas là le plus important. Je m’apprête à mettre en mots ce que ce marathon m’a apporté et je suis déçue à l’avance. Je veux dire, j’aurais aimé trouver une façon spéciale de le dire… 

Le marathon a changé ma vie. Je suis depuis toujours une personne extrêmement persévérante. Quand on entreprend un marathon, c’est d’abord parce qu’on est capable de concevoir qu’on est capable de franchir la distance, peu importe dans quel état.

Depuis ce marathon, ma persévérance s’est trouvée décuplée. Je suis en train de mener un projet à long terme qui me tient à cœur… qui est même essentiel pour ma réalisation personnelle… une réorientation de carrière. Le processus est à peine entamé, depuis mars dernier, ça fait donc un an. Je sais que j’ai encore 10 années d’études devant moi, avant d’arriver à mon but. Déjà, en un an, les épreuves ont été rudes. J’ai notamment échoué un cours d’appoint en mathématiques, que je suis en train de reprendre… je tiens le cap. 

Dans les moments où je ne vois plus clair, où je ne sais plus où j’en suis; dans les moments où je me sens incapable, découragée… quand c’est tout noir autour de moi, je pense au marathon, je pleure un bon coup au besoin, puis je me relève les manches.

Je sais que, petit pas après petit pas, même si je tombe, même si je dois prendre une pause, même si je dois changer de bas, je vais me rendre là où je vais. Quand je ne sais plus où j'en suis, je n'essaie même plus d'entrevoir où je m'en vais. Je pense uniquement au prochain pas. Parfois, même, je ne pense même pas au prochain pas. Je me concentre sur celui que je suis en train de faire, point.

Et j'avance. Je ne capitule pas. 

***

Philip me reparle parfois spontanément du marathon. Parfois c'est moi qui aborde le sujet. 

« C’était difficile, le marathon, hein? »

« Non. »

Ah bon? C’était pas difficile, finalement. J’ai bien hâte qu’il grandisse et qu’il soit en mesure de me dire quel souvenir il garde de cette aventure.

Je viens tout juste de lui demander : « Qu'est-ce que tu as le plus aimé, dans le marathon? »

Il m'a répondu, après une bonne réflexion : « Croiser les gens. »

:-)



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