jeudi 8 octobre 2015

C'est jamais comme dans ton rêve – Marathon de Rimouski, partie II



Il est 5 h 10, je suis habillée, la poussette est remplie, en stand-by en bas des escaliers, le ciel est clair et étoilé, l’air est frais et un peu piquant, mon souffle fait de la buée. J’ai fait tout ce qui concernait ma personne : mangé, bu mon café, brossé mes dents… c’est maintenant l’heure de m’occuper de mon fils.

« Philip! Est-ce que tu viens faire la course avec moi? »

Sching! Les yeux de mon fils s’ouvrent et il est debout dans le temps de le dire. Je l’habille pendant qu’il somnole sur le sofa. Deux paires de pantalons, dont une épaisse, un chandail à manches longues, une veste en coton ouaté, une veste en laine, un coupe vent doublé en polar, deux cache-cou, des mitaines d’hiver, une tuque… sans oublier la couverture pour le couvrir, car il ne bougera pas, lui. Il fait 3 degrés, mais avec le facteur « bord de mer », il faut retrancher encore quelques degrés.

Mon amie Véronique m’a préparé quelques surprises. Nous en déballons une : des colliers phosphorescents bleus! On se fait chacun deux bracelets! On s’en va dire au revoir à Patrick, qui dort, on lui fait la danse des bracelets dans le noir, et hop, on attrape le ballon bleu gonflé à l’hélium qui ira sur la poussette.

Philip s’installe, je le recouvre de sa couverture, et c’est un départ. Nous nous dirigeons vers la ligne de départ, mais avant, je dois arrêter au garage gonfler les pneus de la poussette. Les corbeaux hurlent leur vie dans le petit matin. Il y en a des dizaines! On arrive au garage, je gonfle une roue, puis deux, puis pfffffffffffff…. la troisième rend l’âme dans un pffffffffff arrogant…

Ben oui. Évidemment. On pouvait pas juste partir « normalement ». C’était écrit dans le ciel, voyons! Merde! Qu’est-ce que je fais?!?

Je fais quelques tests avec la poussette. Tant que le pneu débarque pas de la roue, ça roule. On part pareil.

FFFFFOUINNNNN!!!

Bon, ce petit contretemps nous a fait manquer le départ non officiel de 6 h. On se pointe à la ligne de départ, et hop! Trente secondes plus tard, nous sommes partis. Ce don que j’ai d’arriver à la dernière seconde à la ligne de départ! En tout cas, l’important, c’est de partir, hein?

Le boulevard René-Lepage est fermé, la ville dort encore… nous avons tout cet espace à nous tous seuls, la lueur du jour se pointe le bout du nez…

« Maman, j’ai f… »

« Quoi, t’as faim? »

« NON! J’ai froid! »

« Quoi?!? T’as froid??? Mais t’as froid où, mon amour? »

« Aux pieds… »

Merde! Ben oui, c’est sûr qu’il a froid aux pieds, avec ses petits running shoes qui laissent passer l’air! Merde! Qu’est-ce que je fais?!?

Je fouille dans le panier de la poussette. J’y trouve un sac de plastique.

« Regarde Philip, on va mettre tes pieds dans le sac de plastique pour couper le vent, puis on va mettre la couverture comme il faut par-dessus, ok? mais faut pas que tu bouges. »

Je réchauffe ses pieds avec mes mains avant. Il me dit que ça le réchauffe et que ça fait du bien. Je mets le sac, pas trop serré, la couverture… et je prends le temps de photographier le lever du soleil avant de repartir… ça fait 30 minutes qu’on est partis, je le vois en regardant l’heure sur mon téléphone, car j’ai volontairement laissé ma montre à la maison. Je ne veux pas savoir à quelle allure je vais, je veux simplement survivre à 42,2 km avec mon fils en poussette.


Maman... j'ai froid...

Je sais que Philip est un enfant patient. Je n’aurais jamais entrepris ce périple avec un enfant turbulent. J’ai souvent fait de très longues sorties avec lui en poussette. Je sais qu’il aime ça… mais même les plus longues sorties n’étaient pas aussi longues que celle qui nous attend en ce matin froid d’octobre…

Nous poursuivons la route. C’est entre le 5e et le 10e kilomètre que je réalise que la crevaison du pneu arrière fait en sorte que la poussette se dirige toute seule vers la gauche… comme la route tourne vers la droite, je dois sans cesse replacer la poussette dans la bonne direction. C’est l’enfer… est-ce que je vais continuer comme ça tout le long? Je me dis que ce sera moins pire quand le chemin tournera vers la gauche, et en effet, par moments, j’oublie cet inconvénient.

« Maman… moi je voudrais inviter quelqu’un… »

« Hein? Inviter quelqu’un? »

« Oui, moi je voudrais aller chez les parents (il veut dire amis, mais il dit parents) de papa qui ont des sabres lasers. Et je veux aussi inviter Thomas… »

« Mais les amis de papa sont à Ottawa, mon amour, on va retourner les voir quand on va aller à Ottawa. »

« Mais moi je veux aussi inviter Thomas… »

« Mais Thomas est à Montréal, mon amour, on est très loin de chez lui… »

« Mais moi je voulais lui montrer le sous-marin. »
 

« Moi je veux aller dans le sous-marin… » (on a visité le sous-marin de Pointe-au-Père, la veille)

« Non, aujourd’hui on peut pas aller dans le sous-marin, on fait une course, mon coco… »

« Mais moi je veux… »

Je lui explique encore une fois qu’on est en train de faire une très longue course, qu’on en avait parlé déjà, que ce serait long…

« Mais moi je veux pas… »

« Tu veux pas faire la course? »

« Non… »

Mais moi je veux aller dans le sous-marin...


À suivre...

T'as pas le droit de courir – Marathon de Rimouski, partie I
En revenir – Marathon de Rimouski, partie III 

mardi 6 octobre 2015

T'as pas le droit de courir – Marathon de Rimouski, partie I



C’est envahie d’un immense sentiment d’imposture (que j’essaie tant bien que mal de faire taire) que je prépare mes vêtements et mon matériel pour le marathon du lendemain. Je ne suis pas entraînée spécifiquement pour courir un marathon, et j’ai décidé de parcourir la distance avec mon fils en poussette. Comme ça, bing bang, je décide ça trois semaines avant l’événement. J’avais mon dossard pour le marathon depuis longtemps, mais à cause d’une blessure survenue cet été, j’avais décidé de courir le demi-marathon à la place… et là, comme ça va beaucoup mieux et que je n’ai pas encore fait modifier mon dossard… Quand une idée de fou germe dans mon esprit, il est déjà trop tard. Ce germe devient rapidement une obsession et je ne peux plus reculer. C’est mon carburant… peut-être une hormone que je sécrète en trop grande quantité, je n’en sais rien… c’est ce qu’on pourrait appeler ma drive, j’imagine…

Je m’emballe, mais le sentiment d’imposture revient sans cesse. Déshonneur. Non seulement je me lance dans cette épreuve sacrée sans avoir souffert les entraînements de fou qu’elle exige, mais je vais la compléter en 6 heures, peut-être plus. Je suis pire que Oprah. Je vais entacher l’événement. Je vais marcher plus souvent qu’à mon tour. Je vais même carrément m’arrêter, parfois. Pas capable de me contenter de courir le maudit 42,2 km, faut que je me complique la vie encore une fois en m’armant d’une poussette et d’un petit garçon de presque 4 ans pour qui la notion du temps est encore fragile…

Malgré ce sentiment de ne pas être à ma place, un autre sentiment, plus fort, prend le dessus… mon goût de l’aventure. J’ai vraiment envie d’essayer. Je veux voir comment on va s’en tirer, mon fils et moi, comment on va traverser les bouts difficiles, comment on va faire, sans s’entre-tuer, pour parcourir ces 42,2 km. Je fais donc la paix (temporairement) avec mon sentiment d’imposture en abordant l’épreuve non pas comme un marathon, mais comme une épreuve d’endurance, point. Je n’ai peut-être jamais couru plus que 23,5 kilomètres, mais j’ai déjà complété des épreuves d’endurance difficiles d’une durée de plus de 5 heures. Ma tête sait que je peux y arriver. Mon cœur veut à tout prix vivre cette folie… reste à faire suivre la machine. Ma montre Garmin ne fait pas partie du matériel que j’apporterai avec moi le lendemain. Et puis, je me dis… mais qu’est-ce que j’enlève aux autres en prenant ce départ, moi aussi? Je vais partir à 6 h, au départ non officiel, car je sais que je prendrai plus de temps. 

Je prépare donc mon matériel, et l’ampleur de la chose me saute aux yeux. C’est déjà stressant de préparer mon propre stock. Faut pas oublier les gels, la musique, le dossard, les tites épingles, les gourdes, car je n’aurai pas de ravitaillement avant la mi-parcours, vu l’heure de mon départ… puis il y a le stock de Philip. Des vêtements chauds, une couverture, de la nourriture en quantité exagérée, préparée de manière à limiter les déchets… un sac en plastique pour mettre les déchets, mais qui finira par avoir une toute autre utilité cruciale… Ouf, je regarde la montagne de matériel, et je doute… je ne doute pas de ma capacité de relever le défi… 

Je me demande simplement si je suis saine d’esprit…