lundi 27 juillet 2015

Retour sur le mont Albert (les larmes d'une fille tough) – Partie II

T'aimes ça les affaires tough? Ben c'est là que ça se passe, ma belle. ENJOY.

J'ai pas de photos de mon terrain de camping. Je ne voulais pas de souvenirs de ça!

Le matin du Skyrace, je n'ai pas mangé de façon optimale, je me suis brûlé la langue avec mon café et je n'ai pas eu le temps de me réchauffer. Dans l'auto, en me rendant sur le site, je tremblais. Je ne voulais plus faire la course. Mais je me disais que j'étais là et qu'il n'était pas question de ne pas la faire. Je ne raconterai pas la course ici pour ne pas me répéter. Si vous avez lu le récit de ma course (lien ci-dessus si vous n'avez pas lu), vous savez que je me suis blessée à deux kilomètres de la fin.

J'ai franchi le fil d'arrivée et j'ai aussitôt demandé qu'on m'emmène à la tente de l'infirmerie. On a mis de la glace sous ma tête et dans mon dos, et je suis restée allongée là, le petit Jeep de mon fils Philip encore bien serré dans ma main. Je l'avais sorti de ma veste après être tombée. C'est un truc que je fais depuis cet hiver, depuis que j'ai assisté à la conférence de retour de l'Antarctique de Frédéric Dion. Lors d'une course Québec-Montréal, il avait une petite roche dans sa poche qu'il déposait par terre chaque fois qu'il s'arrêtait. Quand il reprenait la route, il remettait la roche dans sa poche et l'emmenait encore plus loin... du point A au point B. Un pas à la fois. Ça m'a donné l'idée de faire la même chose avec les autos de mon fils. Je l'ai fait pour la première fois lors de mon premier demi-marathon d'hiver. C'est toujours Philip qui choisit la voiture. Cette fois-ci, je lui avais demandé sa voiture la plus rapide. Il m'a répondu « Le Jeep? ». Ben oui. Mets-en. Le Jeep!





Ma cousine devait m'attendre au fil d'arrivée, mais à l'heure qu'il est, elle n'est plus là. Il faut que je mange, mais je n'ai aucun appétit. Je retourne à mon campement. Ma cousine me trouve. Elle a fait le tour de tous les campings, et par un heureux hasard, elle me trouve. Ça fait du bien de jaser un peu. J'irai la voir sur le chemin du retour, le lendemain, à Cap-Chat. Elle m'offre d'aller dormir chez elle le soir même. Vu ma blessure, la nuit de camping pourrait être rude, mais je veux vivre mon histoire en solitaire jusqu'au bout. Je vais endurer ma nuit de camping.

Je mange un peu, je m'étends un peu dans ma tente. Je ne veux pas faire de sieste, car je sais que, si je fais ça, je vais dormir jusqu'au lendemain. Je reste un bon moment dans la tente. Je suis brisée, déçue, j'ai mal. Je voudrais aller prendre une douche, je n'ai même pas pris de douche la veille, vu le rush de monter mon campement et mes mésaventures d'ongulés. Je sens la charogne. Je ramasse mon courage, ma serviette, des vêtements de rechange et je me rends au bloc sanitaire. Ça prend 4 x 25 sous pour une douche de 4 minutes... j'ai pas de change, il faudrait que je retourne à l'accueil me faire faire de la monnaie, je n'ai pas cette énergie. Je retourne brailler dans ma tente. Puis je sais qu'il y a une zone wifi quelque part. Je me dis « Heille. T'es en camping. Assume. Y'a pas de Facebook icitte. Ok? ». Je reste encore un long moment dans la torpeur, dans ma tente. Le corps dedans, les pieds dehors... Ça fait 2-3 heures que la course est finie, j'ai encore mon linge de course sur le dos; j'ai même pas encore enlevé mes bas mouillés pis mes souliers pleins de bouette. Puis je me dis : « Heille. T'es blessée. T'as le droit d'y aller, gosser sur ton téléphone, si ça te fait du bien de connecter un peu avec tes amis. Y'a des limites à se la jouer tough. Quand on a le choix. Tsé. »

Je me fais donc le plaisir de me déchausser : aaaaahhhhhh! Je me lave à la débarbouillette et je me change pour me rendre au centre de découvertes, là où il y a du wifi... je suis beaucoup trop habillée! Il fait chaud! (ah mais là, tant pis, c'était assez compliqué et douloureux de me changer, je reste comme ça!) et je gosse sur mon téléphone, et ça me fait du bien... mais pas tant. Je revois les femmes avec qui j'étais la veille, à la réunion d'information. L'une d'elles me propose d'aller souper au gîte du mont Albert. J'aimerais ça, mais je suis crottée, je pue, et aller prendre ma douche me semble une épreuve insurmontable, je décline l'offre.

Ce soir-là, j'ai réussi à me faire un petit feu décent. J'ai mangé trois rangées de ma boîte de biscuits Feuille d'érable (j'ai mangé la dernière rangée pour déjeuner le lendemain). J'ai même réussi à m'asseoir un peu devant mon feu et à boire une bière. Mais j'avais tellement mal quand j'étais assise que j'ai bien vite arrêté d'alimenter mon feu. À 20 h 30, il faisait encore clair et j'avais la tête sur l'oreiller. À 20 h 31, je dormais.

J'ai dormi jusqu'à 10 h le lendemain matin.

Une autre épreuve m'attendait : décamper.

J'ai mal. J'ai même pas encore osé regarder mes fesses, j'ai peur de ce que je vais voir. De toute façon, ce matin, je décampe au plus vite et je vais rendre visite à ma cousine Natasha. Je vais lui demander si je peux prendre une douche. Ahhhh, une douche. Ça me motive à m'y mettre. Je commence tranquillement à ramasser mes affaires. Je braille assise à la table à pique nique. Je mange les derniers biscuits avec un gros verre de lait parce que heille, je le mérite. Je me fais un café que je laisse refroidir avant de boire. Tsé. Wôôô. Me ferai pas chier à matin. Ramasse, braille, ramasse, braille, braille, ramasse. C'est pas très important de raconter tout ça en détail, mais l'un des moments clés de mon aventure s'en vient. C'est un acte si banal, mais pour moi, un moment si important.

Le matelas.

C'est un matelas autogonflant. Je dois mettre mon poids dessus à mesure que je le roule pour bien le dégonfler. Faut être patiente. Y'est pas loin de midi, dans une tente, être patiente, avoir chaud, c'est du sport. Mais je le fais. Je viens de me taper, en deux jours, pas loin de 30 km et 2 000 mètres de dénivelé positif et négatif, l'effort physique le plus important de ma vie (mis à part accoucher, on s'entend). Je suis capable de rouler un matelas. Pis non seulement je vais le rouler, mais je vais le faire fitter dans son sac. Comme il était quand je suis arrivée. Ça prendra 4 heures s'il le faut, mais y va rentrer. J'ai chaud. Le matelas est à moitié rentré dans le sac. Voyons j'ai donc ben chaud! Je sacre. Ben oui, mais sors de la tente!!!

Ouf. Good enough. ça va être de même, je le laisse comme ça, je veux juste m'en aller.

Non.

Y'était dans son sac quand t'es arrivée, y va retourner dans son sac AU COMPLET.

Millimètre par millimètre, debout à côté de la table à pique-nique, je gosse... et je finis par tirer la corde du sac pour le fermer. Victoire! Pour le reste, tout va bien, démonter la tente est un pet, et hop! Ciao ciao! Je sais que d'autres épreuves m'attendent, comme celle de conduire avec un coccyx endolori, mais je m'en fous, je veux juste m'en aller.

J'arrive chez ma cousine, je lui demande si je peux prendre une douche. Elle me répond : « J'ai juste un bain ». Un bain!!! C'est encore mieux! Quelle bénédiction. Aaaaahhhh, prendre un bain chez ma cousine. Je me dis que, dans ma malchance, j'ai de la chance d'être dans un coin de pays où j'ai de la famille.

Je peux vérifier mon hématome, c'est pas trop pire. Après mon bain, on prend un café, on jase... ma cousine avec qui j'ai passé tous mes étés d'enfance... on ne se voit pas pendant 15 ans et c'est comme si on s'était vues la veille. Ça me fait un bien fou!

Je reprends la route pour Rimouski. Je veux juste arriver chez Hélène au plus vite et me reposer... Matane. Matane. Ok, à Matane, là, faut gazer, ok tout le monde? À Matane, mets du gaz. Y'a mille stations d'essence à Matane. Matane est la capitale de l'essence. T'en mets. Pas comme moi.

Moi je veux deux choses : 1) une poutine de cantine de bord de route (pis ça doit s'appeler « Cantine », pas « Restaurant ». « Casse-croûte » à la limite); 2) de l'essence parce que ma lumière clignote (encore). Mais de l'essence, là, y'en a pas jusqu'à Rimouski. Je surveille les cantines. « Ah, si je trouve une station pas loin, je vais revenir ici »... mais y'a jamais de station pas loin. J'en trouve une, yé!!! Mais elle est fermée. Grml.
Enfin, je réussis à me rendre à Pointe-au-Père.

J'arrive chez Hélène, je gosse sur mon ordi, puis je me couche pour la nuit.

Le lendemain, avant de repartir pour Montréal, je rends visite à ma tante Julienne. Elle me montre un beau film que son fils a fait sur elle. Un jour, il a dit : « Maman, je sais rien de toi, raconte-moi ». Il s'est installé dans un coin du salon et l'a filmée. Elle ne savait pas qu'il allait en faire un film... Après le visionnement, on s'est prises dans nos bras et on a pleuré, pleuré, pleuré... ma petite tante xxx Si vous avez une chance, allez voir le film. Ça dure 20 minutes... mais sortez vos kleenex.


Ouf... après 3 jours de braillage, je commençais à avoir envie de rentrer retrouver les miens. Après le dîner avec ma tante et ma cousine, le cœur gros, je suis partie pour Montréal en me demandant pourquoi il pleut tout le temps quand on s'en va.

Le chemin du retour a été douloureux physiquement, mais j'ai gardé mon réservoir à essence plein. J'ai retrouvé Patrick à la maison, sauté dans ses bras, éclaté en sanglots. « Je pensais plus jamais vous revoooooiiiirrr! ». Mon fils dormait, je suis allée l'embrasser.

***

Aujourd’hui, ça fait exactement un mois que je me suis blessée. Ça commence à aller mieux. J'ai recommencé à courir. Ma blessure m'a imposé un temps d'arrêt, m'a obligée à être douce, à privilégier le repos. Les semaines avant le mont Albert, je m'entraînais 12 heures par semaine, je surfais sur une vague et j'avais l'énergie. J'étais tellement entraînée que ma double ascension ne pas pas causé de courbatures (autres que celles liées à ma blessure). Mais je suis tombée de haut. Au moins de 2 kilomètres. La chute a fait mal, mais j'ai essayé de l’accueillir avec sagesse.

Mon aventure en Gaspésie ne s'est pas du tout déroulée comme dans mes rêves. Je savais que ça allait être difficile. Je savais même que ça allait être très difficile. La montagne, qu'elle soit physique ou métaphorique, il faut l'aborder humblement. Peu importe les circonstances, la montagne sera toujours plus forte que toi. La montagne, c'est l'incarnation de l'élément Terre. Puissante comme un raz-de-marée. 

Ça m'a pris un mois pour prendre le recul et pour commencer à réaliser l'ampleur de ce que j'ai vécu. La montagne était tellement grosse que je ne pouvais pas la voir dans son ensemble sans laisser le temps passer. Et je n'ai pas fini d'y réfléchir.

Une chose est certaine : malgré les difficultés que ça suppose, je souhaite à tout le monde de vivre au moins une fois dans sa vie ce genre d'expérience. D'aller affronter ses démons, seul. Ce qu'on en garde, c'est comme une pierre précieuse qu'on aurait trouvé au cœur d'une montagne.


Retour sur le mont Albert (les larmes d'une fille tough) – Partie I
Kilomètre vertical du mont Albert – 26 juin 2015
Skyrace du mont Albert – 27 juin 2015 (partie I)
Skyrace du mont Albert – 27 juin 2015 (partie II)

dimanche 26 juillet 2015

Retour sur le mont Albert (les larmes d'une fille tough) – Partie I

Je suis revenue il y a un mois de mon aventure en solitaire au mont Albert. Dès mon arrivée, j'ai voulu écrire le récit de mes courses le plus vite possible. J'avais hâte de les raconter... mais bizarrement, le récit de mes courses ne correspond pas à mes paroles, car l'une des premières choses que j'ai dites à mon retour, c'est : « Les courses, c'était un détail, finalement ».

Je suis partie seule en Gaspésie pendant cinq jours, en laissant derrière moi mon mari et mon fils de trois ans et demi. J'avais hâte de vivre ce périple, je l'avais imaginé comme un ressourcement. Paisible, méditatif... seule avec moi-même sur le bord du feu, en camping, en regardant les étoiles la veille de ma course, dans mon hamac l'après-midi après ma première course... Dans mon imagination, il n'était pas question de pleurer tous les jours, plusieurs fois par jour!

La première journée, la seule où je n'ai pas pleuré, j'ai fait Montréal-Rimouski en voiture. La joie de rouler seule, avec MA musique, que j'aime écouter très fort, et d'arrêter quand JE veux, où je veux. Bon, ça roulait tellement bien que j'ai vécu un stress de lumière d'essence qui clignote, mais j'ai eu ma leçon. J'ai été accueillie chez Hélène, une amie de ma tante, chez qui on se sent comme chez ses parents tellement elle prend soin de nous. Je suis allée me faire masser le soir. Je n'ai jamais autant aimé me faire masser les bras... la veille d'une course! Jusque là, le voyage était comme dans mon rêve.

Le coucher de soleil en sortant du spa... faisait froid!
Le lendemain matin, après un bon déjeuner protéiné qu'Hélène l'infirmière s'est assurée de me faire avaler, je suis partie pour la Haute-Gaspésie. Deux ou trois heures de route. Sainte-Flavie. Là où on commence à rouler sur la 132, la Route de la Mer. Matane. Les premières éoliennes. Ça  m'impressionne chaque fois de les voir tourner lentement... mais c'est encore plus impressionnant quand on arrive à Cap-Chat, là où le parc éolien est assez imposant... et ça m'arrache mes premières larmes. J'ai habité Cap-Chat, alors c'est certain que je suis plus émue quand je m'en approche qu'un touriste qui se rend pour la première fois en Gaspésie... surtout que mon prochain stop est au cimetière. Je veux aller voir mon cousin Naïm, avec qui j'ai tellement joué, et ma mamie. Le cimetière de Cap-Chat est le plus beau que j'aie jamais vu. Il est situé juste en bas d'une petite falaise, et juste à côté du havre de pêche. Ce que je trouve difficile, quand j'y vais, c'est que c'est un très petit cimetière... rempli de Lepage, de Roy, de Landry... mon arbre généalogique au complet s'y trouve...



Je vais sécher mes larmes sur le bord de la plage...

Cap-Chat
 ...avant d'aller faire mon épicerie à Sainte-Anne-des-Monts, car je vais camper deux nuits. Je sors de l'épicerie, il est midi passé, j'ai une course à 14 h, et je commence à stresser. Hélène m'a dit de calculer une bonne heure pour me rendre au mont Albert. Faut pas niaiser. Je m'engage sur la route 299. Il y a cette chanson qui joue dans l'auto. Les paroles n'ont pas rapport, mais chaque fois que je réentends la chanson, je me vois au volant sur la route sinueuse qui monte et qui descend dans les montagnes, les oreilles qui bouchent... il faut lire la suite avec la chanson pour embarquer un peu dans mon expérience!

















Je roule donc sur la route 299, dans les montagnes. Des montagnes de taille moyenne, comme on a l'habitude d'en voir. Puis tout à coup, au loin... je vois LES montagnes. Le temps est nuageux, ce qui fait que les montagnes sont noires, gigantesques, imposantes... menaçantes. Je crie dans l'auto. OH MY GOOOOOOD!!!!! C'est ça que je m'en vais monter!?! MAIS C'EST TELLEMENT BEAAAAAAUUU!!!! Je crie, je pleure (encore). Et je crie de plus belle quand se dresse devant moi un MUR de montagnes. La nature est grandiose, je m'exclame, je braille, je suis dépassée par tant de beauté. Que voulez-vous, je suis une contemplative.

J'arrive sur le site environ 45 minutes avant ma course. Je vais d'abord chercher mon dossard, je fais des blagues sur la signification numérologique de mon numéro de dossard avec un bénévole. Le 8 signifie l'infini, le 3, le mouvement, 8 + 3 = 11, 1 + 1 = 2 = l'inconnu! puis je me change dans le stationnement. C'est long, car je dois transporter du matériel obligatoire dans ma veste d'hydratation, et je ne veux rien oublier. Je remplis ma veste, puis je m'enduis de crème solaire, ah oui, le chasse-moustiques, la casquette, merde, mon dossard, c'est important, faut pas que je perde mes épingles, j'ai juste un set pour les deux courses. Je constate que mes souliers sont vraiment usés... ils m'ont servi durant deux hivers et trois Spartan Race... mais là, je réalise que c'est leur dernière course... Je ne suis jamais tombée avec ces souliers... mais là, je sais que je dois faire attention.

Le pipi est fait. I'm ready to rock da mountain.
Je veux me réchauffer un peu avant le départ pour le kilomètre vertical, alors je cours un peu pour aller aux toillettes... mais ça n'a pas de bon sens! Je suis essoufflée à rien! Je crois que l'altitude joue déjà sur mes poumons, ça ne sera pas facile.

Comme je suis seule, je suis ouverte aux rencontres, et j'ai le temps de jaser avec un monsieur de 70 ans qui s'apprête à faire la même course que moi. Je l'ai abordé parce qu'il porte le chandail du marathon de Rimouski. On jase un peu, puis c'est la réunion de pré-course. On nous informe que c'est glissant, qu'il a beaucoup plu dans les derniers jours, et que les derniers 100 mètres sont dans la neige. Les départs se feront par groupes de 3, selon le numéro de dossard, à toutes les minutes. Comme j'ai le dossard 83, je trouve les personnes avec qui je prendrai le départ... on a pas mal le temps de jaser, à côté du petit pont qu'on devra traverser au moment du départ.

À 14 h 27, je prends le départ du kilomètre vertical!

Départ du kilomètre vertical. Crédit photo : La Clinique du coureur

Au sommet, 1 h 20 plus tard
Quatre heures plus tard, après avoir gravi et descendu une première fois le mont Albert, je dois assister à une réunion d'information obligatoire pour ma course du lendemain. Il est 18 h. Ma tente n'est pas montée. Je ne suis même pas enregistrée! J'essaie de ne pas trop stresser, le soleil se couche tard, à la fin juin.

J'arrive sur le site, je suis pleine de boue, encore rouge parce que j'ai couru pour être à l'heure à la réunion et, probablement parce que je suis seule et ouverte à rencontrer des gens, deux femmes m'abordent pour me demander c'était comment. Je m’assois avec elles pour la réunion. Elles me disent que je suis devenue blanche pendant la portion sur « Quoi faire si on rencontre des animaux, et quoi faire en cas d'orages ». C'est effrayant! Même si on n'annonce pas d'orages, la fille terrorisée des orages que je suis s'imagine, prisonnière des éclairs, sur le plateau. Car le sommet du mont Albert est un plateau. Aucun arbre, aucune protection. En cas d'orage, si on est en groupe, il faut se disperser à au moins 50 mètres les uns des autres, comme ça si une personnes est frappée par la foudre, les autres ne le sont pas. C'est gai.

La mairesse de Sainte-Anne-des-Monts prend la parole. C'est une femme intense, comme elle le dit elle-même, « abrupte dans ses propos, mais au cœur chaleureux »... à l'image des gens de la région. Elle nous parle de l'histoire de la région, et elle nous dit de garder en tête, lorsque nous foulerons les sentiers, qu'il s'agit d'un territoire de gens résilients. Dans les années 1960 (ça ne fait pas longtemps), les maisons de villages entiers ont été brûlées, et les gens de ces villages se sont reconstruit une vie. Son récit est touchant, et comme ma famille est de la région, elle m'arrache des larmes (et me donne en même temps souvent envie de sourire, tellement elle est intense).

La réunion s'éternise, j'ai passé 4 heures dans la montagne et je n'ai mangé qu'une barre tendre depuis. Je veux monter mon campement et manger au plus vite. Mon rêve de sieste dans le hamac est à l'eau, car il ne me reste qu'une heure de clarté pour monter ma tente.

Une fois la tente montée, il faut faire un feu, puis il faut faire bouillir de l'eau pour me faire des pâtes... la nuit tombe, j'allume ma petite lanterne, je mets ma frontale. Mon feu ne pogne pas, mais je réussis tout de même à faire mes pâtes. Il fait noir, je mange mes pâtes à même la casserole, quand j'entends « crounch, crounch », dans le sous-bois. « Crounch, chrounch », encore, suivi d'un « Humrrrrrgh ». Je suis terrifiée. Il y a un animal qui grogne dans le sous-bois, tout près de moi. Je regarde avec ma lampe de poche : Un loup! Il vient vers moi! Au secours! Je sors de mon site de camping et je vais dans le site voisin, où il y a au moins 6 personnes et des enfants, je suis terrorisée, ils me regardent croche, mais voyons c'est qui la folle qui arrive en criant au secours. Je m'assois à leur table à pique-nique pendant que quelques-uns d'entre eux vont voir dans le sous-bois. C'était un orignal avec son petit! Ils sont partis en voyant les humains. Mes voisins de campement m'offrent de m'asseoir un peu avec eux, mais je refuse... je les remercie d'être allés vérifier, puis je retourne sur mon site.

Mon feu est définitivement mort, je ne le rallumerai pas. En plus, si je m'assois devant mon feu, je fais face au sous-bois peuplé de faune potentielle et je n'ai pas trop envie. Je termine mon macaroni, et pas question que je marche jusqu'au bloc sanitaire pour me brosser les dents! J'y vais en char! Et je laisse ma casserole sale dans l'auto. Je la laverai demain, à la clarté. Pas question que je fasse de la vaisselle dans le noir. J'ai pas assez mangé, mais tant pis. Mon rêve de snack sur le bord du feu et de contemplation des étoiles est fichu, mais tellement, là! Tout ce que je veux, c'est me réfugier dans ma tente, me mettre en pyjama et dormir. Les bêtes pourront venir rôder, tant que je ne les vois pas, j'ai pas de problème. La nuit est froide, il fait environ 9 degrés. Je me réveille avec mes règles, c'est super génial 1) en camping, 2) à l'aube de la plus grosse course de ma vie. YEAH! T'aimes ça les affaires tough? Ben c'est là que ça se passe, ma belle. ENJOY.

Retour sur le mont Albert (les larmes d'une fille tough) – Partie II
Kilomètre vertical du mont Albert – 26 juin 2015
Skyrace du mont Albert – 27 juin 2015 (partie I)
Skyrace du mont-Albert – 27 juin 2015 (partie II)

vendredi 24 juillet 2015

Unplugged



How do you flip the internal switch that changes us all back into the Natural Born Runners we once were? Not just in history, but in our own lifetimes. Remember? Back when you were a kid and you had to be yelled at to slow down? Every game you played, you played at top speed, sprinting like crazy […] Half the fun of doing anything was doing it at record pace […]
All he wanted was to find one Natural Born Runner – someone who ran for sheer joy, like an artist in the grip of inspiration – and study how he or she trained, lived, and thought.
Christopher McDougall – Born to Run

Aujourd’hui, c’était jour de repos d’entraînement.

Mais Born to Run me porte à réfléchir beaucoup ces jours-ci, et voilà, ce matin, je me suis réveillée en pensant à mon fils. Mon fils qui, de mon œil de mère, court tellement vite! Et bien! La foulée si rapide qu’on dirait le Road Runner, le corps bien droit qui semble glisser sur l’eau, les cheveux dans le vent… et le sourire… exactement comme Christopher McDougall décrit le peuple Tarahumara. Je me réveille donc en réfléchissant à tout ça et je me dis qu’un de mes plus chers désirs est que mon fils ne perde jamais ce plaisir candide de courir. 

Puis je pense à mes amies Marlène et Véronique. Ce sont de pures coureuses. Marlène n’a participé qu’une seule fois à une course officielle. Pourtant, elle court depuis toujours. Rapide, légère. Elle pourrait avoir déjà couru un marathon qu’elle ne le saurait pas. Son allure, elle ne la connaît pas, elle court pour le simple plaisir, et quand elle n’en a pas envie, elle ne court pas. Un plan? Elle ne connaît pas. Véronique, elle, sort courir complètement « unplugged », comme elle dit. Sur un coup de tête, parce qu’elle en a besoin, sans musique, sans GPS, sans chrono. Juste sa casquette pis ses lunettes. En sortant de la maison, elle lance à son amoureux : « Si je suis pas revenue dans une heure, c’est que j’ai décidé d’en faire deux ». Pour moi, ces filles-là sont de vraies coureuses.

Depuis quelques mois, je me dis qu’il faudrait bien que j’essaie, un jour, de sortir courir sans avoir à arrêter mon chrono au coin des rues, sans avoir à étudier mon itinéraire avant de partir pour être certaine que ça fait 15 km, sans avoir le réflexe de vérifier mon allure à tout bout de champ… qu’il faudrait bien que j’essaie de sortir courir « juste pour le fun »… mais ça n’adonne comme jamais… et j’ai toujours très envie de savoir combien de kilomètres j’ai fait, si j’allais vite ou non, etc. Dépendante, carrément.

Donc aujourd’hui c’est jour de repos, et je me dis « Et si… et si… j’essayais d’écouter un peu plus mon cœur et un peu moins ma raison… ça donnerait quoi? ». Je me pose cette question parce que je pratique des sports assez antagonistes. Mon coach d’haltérophilie me disait l’autre jour que c’est très rare que des gens pratiquent à la fois l’haltérophilie et des sports d’endurance… et que, soit dit en passant, une course de 5 km est une épreuve d’endurance… moi qui prenais ça comme un sprint!

Je me dis parfois que j’aimerais peut-être restreindre un peu la variété des disciplines qui m’intéressent, mais je n’arrive pas à trancher, et quand je planifie mes entraînements, j’essaie de créer un certain équilibre entre les différents types d’efforts. Je crois avoir un talent naturel pour tout ce qui est rapide et explosif. Une partie de moi me dit donc d’aller vers l’haltérophilie et de laisser de côté les longues distances, pour lesquelles disons-le, je me fais en quelque sorte violence, car courir de longues distances me cause des problèmes intestinaux assez incommodants… mais je m’acharne. J’aime courir, je rêve d’ultramarathons dans les canyons, dans le désert… je me jette consciemment dans la gueule du loup. Plus j’ai peur et moins j’ai un talent naturel pour la chose, plus je suis attirée. Je n’y comprends rien. Enfin. Je me dis qu'à force de travailler les choses qui nous font peur et qui sont difficiles pour nous, c'est dans ça qu'on devient le meilleur... et on finit par aimer ça. Courir dans les côtes en est un bon exemple. Je vois une côte, et je me dis « yesss! ». Parce que j'ai rushé ma vie dans plus d'une. Parce que je prends toujours le chemin le plus difficile.

Alors, alors, alors... et si… aujourd’hui, j’écoutais mon cœur. Je ferais quoi? Je me reposerais? Non. J'ai pas envie pantoute! J’irais courir! Longtemps! Sans chrono ni GPS. Je ne suis pas retournée sur la montagne depuis mon accident au mont Albert. Mon fils est malade et je le garde à la maison. Nous sommes condamnés à passer une journée « vedge » à la maison. J’appelle ma voisine pour lui emprunter sa poussette jogger. Trente minutes plus tard, mon fils et moi sommes en direction de la montagne. 

Première course sans douleur depuis un mois. Nous sommes tous les deux heureux. D’habitude, la chaleur m’incommode, mais aujourd’hui, je me fous de mon pace, je me fous de marcher un peu parfois. Je cours juste par amour de la course, en m’écoutant. Pourquoi j’irais plus vite? Je rencontre brièvement mon coach Nicolas sur la montagne, ça fait plaisir de se voir et je lui présente Philip. Première visite de Philip sur le Belvédère. J’ai apporté un gel énergétique, mais au diable! Un cornet de crème glacée sur le Belvédère avec mon fils qui y est pour la première fois, c’est beaucoup mieux! On reprend notre chemin. Je pourrais continuer à courir ainsi longtemps, avec de petites pauses, mais je décide de retourner vers la maison parce que… y’a plus d’eau et puis j’ai un peu mal. 

Je suis partie un peu plus de deux heures. Aucune idée de ma vitesse, vague idée de mon klilométrage parce que je suis passée par des chemins que j’emprunte souvent.

Ce soir, je soupe avec Véronique… et j’ai la folle idée de lui proposer… « Veux-tu aller courir un peu avant de souper? ». Je suis certaine qu’elle va dire oui.

vendredi 3 juillet 2015

Skyrace du mont Albert – 27 juin 2015 (partie II)

Tu trembles, carcasse, mais tu tremblerais bien davantage si tu savais où je vais te mener.
Henri II de la tour d'Auvergne, vicomte de Turenne

Je ne serais peut-être pas arrivée à la ligne de départ à 7 h 59 si je n'avais pas passé 15 minutes au bloc sanitaire à sécher mes souliers mouillés de la veille, mais l'idée d'entreprendre 22 km les pieds mouillés ne me réjouissait pas. Une fois mes souliers secs, je saute dans l'auto pour me rendre sur le site du départ... quelque chose en moi a la frousse. Je ne veux plus faire la course. Pourtant, je suis tout habillée, j'ai ma veste d'hydratation sur le dos, mes souliers sont secs, je m'entraîne depuis des mois en vue de cette épreuve... pas question que je n'y participe pas! Quelle déception il me faudrait ensuite gérer!

Les mises en garde de la veille m'ont fichu la trouille. Que faire en cas d'orage si on se trouve sur le plateau? Se mettre en boule et prier, c'est pas mal ça. Que faire si on rencontre un ours, un orignal? Que faire si on se blesse, si on veut abandonner?, etc. Mais misère! Je ne vais pas m'empêcher de vivre l'une des expériences les plus extraordinaires de ma vie simplement parce que j'ai peur!

De toute façon il est trop tard, le départ est donné et nous sommes nombreux, la peur s'estompe pour laisser place à l'essoufflement. Je me fais allègrement dépasser. Je me retrouve vite derrière. Enfin, je ne suis pas seule, mais il suffit d'un petit ralentissement au bout de 45 minutes pour prendre un gel... pour perdre tout le monde de vue. Plus personne ni devant ni derrière, plus un son, juste le chant du bruant à gorge blanche.


Je suis seule sur la crête du mont Olivine. Le sol est composé d'immenses roches. Ce n'est pas encore la toundra, mais les arbres sont plus petits... et j'ai peur. Je ne profite pas du moment. Je n'admire pas la vue. J'ai juste peur. Un groupe de trois personnes apparaît. Je suis soulagée un moment, mais ils ont vite fait de redisparaître. Je ne comprends pas comment ils font pour courir ainsi dans ces grosses roches! Moi, je mesure mes pas, il me reste plus de 15 kilomètres à faire... je continue ma route.

Je descends le mont Olivine. J'en suis à 7-8 kilomètres. Là c'est le bout où vous pouvez rire de moi... Je suis seule. Dans la forêt dense. Les pieds dans la boue. Terrorisée. Aucun plaisir. Je m'imagine ne jamais revoir mon fils. Je me mets à faire du bruit. Je sacre. Je crie « Voyons! Chu tu la seule dans c'te course de marde-là?! Sont où, les autres?!? ». J'ai ma petite clochette à ours et je me mets à chanter des chansons pour faire encore plus de bruit. J'ai si peur que j'arrive mal à réfléchir, je ne me souviens plus d'aucune chanson. La seule qui me vient est « Il était un petit navire », puis ensuite des berceuses. Jamais berceuse n'a été chantée aussi fort.

J'en suis à chanter « Tape, tape, tape, roule, roule, roule, pique, pique, pique....» en courant et en braillant à chaudes larmes quand je croise des randonneurs en sens inverse.

« Are you the last one? », que le monsieur me demande... et moi, les larmes qui ruissellement sur mes joues : « I have no idea! I HOPE NOT! »

« Well, good luck ».

J'arrive à un embranchement et je vois deux gars qui reviennent d'un endroit... ils s'étaient visiblement trompés de sentier et reviennent sur leurs pas. On jase un peu. Je me dis intérieurement « Eux, je les laisse pas partir ». Un peu plus loin devant, je reconnais une femme que je suivais au début. Une longue tresse noire avec un sac à dos bleu et des bâtons de marche. Je la dépasse en lui disant « Lâche pas! T'es mon lapin depuis le début! ». Je l'ai instinctivement tutoyée, car, de dos, elle semblait plus jeune que moi... mais non! J'ai affaire à une femme d'âge mûr. Une tough. Mais je l'ai tutoyée et il est trop tard, on se tutoie... si on commence à faire des cérémonies dans le fin fond des bois, on va trouver le temps long.

On jase un peu, pas trop. On se suit sans se suivre. On se dépasse mutuellement par moments, mais on est définitivement au même rythme. On arrive au premier ravitaillement ensemble.

Sans réfléchir, je repars seule du ravitaillement, mais elle a vite fait de me rattraper. Les 5,5 kilomètres qui suivent nous mèneront au sommet du mont Albert. Une montée qui durera au moins 2 heures.

Peu à peu, la végétation disparaît et nous nous retrouvons dans ce qu'on appelle « la cuve ». Que des roches. Des grosses roches orangées qui reflètent du vert... comme l'intérieur d'un coquillage. À quelques endroits il faut traverser des cours d'eau. Nous sommes contentes d'être ensemble. On parle, mais pas trop. Quand on pense qu'on est presque arrivées au sommet, il suffit d'apercevoir au loin une silhouette humaine minuscule qui nous rappelle l'immensité du décor... le sommet est encore loin.

On monte, on monte, sans jamais s'arrêter, mais les jambes commencent à fatiguer... à quelques centaines de mètres du sommet, on s'arrête peut-être trois fois 15 secondes... juste le temps de reprendre l'esprit de nos jambes, on se pousse mutuellement, on s'interdit d'arrêter trop longtemps.


La végétation est magnifique. C'est la toundra. mousses, petites fleurs rampantes qui poussent en touffes entre les roches... un milieu hostile parsemé de fleurs délicates... et la neige... que ça fait du bien... la fraîcheur de la neige! Car depuis une bonne heure, peut-être plus, aucune ombre, aucun arbre, que de la roche.

Comme la veille, l'arrivée au sommet m'arrache une émotion particulière. Je ne pleure pas, mais j'ai comme un petit tremblement de soulagement... tout cet effort... enfin. Nous prenons quelques minutes dans le petit belvédère pour boire et prendre quelques photos... et pour finir par nous demander nom noms.

Il faut maintenant traverser le plateau. Dany est devant. Je cours/marche derrière sur le chemin en bois qui traverse le plateau, puis nous arrivons au deuxième ravitaillement avant d'amorcer la descente.

Juste avant la descente

 La suite de mon histoire se trouve ici

*** 

Depuis mon retour, j'essaie de prendre du recul par rapport à toute cette aventure et c'est très difficile. Je dis « aventure » parce que, au bout du compte, les courses n'ont fait que ponctuer ces cinq jours de voyage en solitaire. Voyager seule, se blesser seule, camper seule, démonter seule un campement en étant blessée... sans compter les visites aux membres de ma famille (morts et vivants)... c'était, on peut le dire, très dense.

Je me suis demandée si j'étais courageuse ou simplement téméraire, si ça valait la peine de se mettre ainsi volontairement dans le danger...

Je réfléchis encore... tout est dangereux, mais s'empêcher de vivre des aventures extraordinaires sous prétexte que ça comporte une part de danger, n'est-ce pas là se priver d'expériences incroyables qui nous font avancer?

Je n'ai pas pris tout le recul qu'il faut. Je sais en tout cas que j'ai gagné de l'expérience, que ma victoire a été non pas de franchir deux fois la ligne d'arrivée en deux jours, mais d'amener le petit Jeep de mon fils du point A, au point B... puis de le ramener, riche de toutes ses expériences et de ses rencontres, au point A.

mercredi 1 juillet 2015

Skyrace du mont Albert – 27 juin 2015 (partie I)

Je laisse derrière la femme avec qui que viens de passer deux longues heures d'ascension. Les cinq derniers kilomètres de la course accusent un dénivelé négatif de 1 000 mètres. Je suis passée par ce sentier rocheux la veille, mais l'endroit a eu le temps de sécher un peu, ce qui fait que c'est moins glissant. Il y a des sections dégagées, où je peux vraiment accélérer, et des sections de grosses roches, de racines et de petits cours d'eau, où je vais plus lentement. Je dépasse un groupe de filles avec qui j'étais au sommet, il y a quelques minutes.

Ça descend bien. J'ai presque fini. Je suis dans ma zone, mes pieds se posent au bon endroit. Ça fait plus de quatre heures que j'arpente la montagne, mais j'ai encore de l'énergie et l'adrénaline est au rendez-vous, car la ligne d'arrivée est à moins de trois kilomètres.

Stepping stone, stepping stone, stepping stone... touk, touk, touk, touk, touk, je suis un chat. Il suffit d'un pas posé au mauvais endroit.

La chute est brutale et l'onde de choc remonte jusque dans ma tête, ma vision devient trouble, je hurle. Ma première pensée : MES JAMBES! Est-ce que je peux bouger mes jambes? Ma deuxième pensée : Ça fait TRÈS mal. Une deuxième onde de choc. Je crie, j'essaie de bouger, mais pas trop. Je reste allongée dans la « marche d'escalier » que forme un amas de racines. Heureusement, des gens arrivent près de moi. Je réussis à me relever, on vérifie que tout est mobile dans tous les sens.

Tout est ok, je repars en marchant et je pleure. Pas tant parce que j'ai mal, mais parce que j'ai eu si peur. Peur de perdre l'usage de mes jambes. Et aussi probablement parce que je suis fatiguée.

Il ne fait pourtant aucun doute dans mon esprit que je suis capable de me rendre au fil d'arrivée en marchant. De toute façon, je suis derrière depuis le début. L'espoir de faire un bon chrono, je l'ai abandonné depuis longtemps. Je veux simplement finir en un morceau. En courant si possible. J'essaie de courir un peu. Ça fait mal, mais c'est possible. Je n'insiste pas.

C'est à ce moment que je rencontre... euh... ça peut sembler poche de dire ça comme ça, mais oui, ce jour-là, Nathalie est apparue au bon endroit, au bon moment, comme un ange.

Elle me demande si ça va, je lui explique que je viens de tomber sur le coccyx et que j'ai eu peur. Elle me dit qu'elle a déjà vécu quelque chose de similaire et qu'elle comprend. Elle me dit « Si t'as envie de pleurer, pleure maintenant, garde pas ça, laisse-le sortir ». Alors je pleure un bon coup. Elle me dit qu'elle marche pendant que son chum court le 100 kilomètres. Elle me propose de marcher avec moi vers le fil d'arrivée et j'accepte. On jase de nos vies, on découvre qu'on habite toutes les deux à Montréal et qu'on a énormément de points en commun. À un moment, elle me dit « On se connaît, Sophie. On se connaît ». On prend une petite photo en chemin pour immortaliser le moment. La petite auto appartient à mon fils.


Présente et effacée à la fois, elle me demande si je veux continuer seule ou avec elle. Je veux rester avec elle. Elle me dit « Ça tombe bien, je suis en réhabilitation et j'ai juste le droit de courir 3 km. Si tu veux on peut courir un peu, ici le sentier est beau ». Elle joggue devant, je me brasse derrière (parce qu'on peut pas appeler ça « courir »). La ligne d'arrivée est toute proche. Je n'ai plus de jambes. Il ne reste qu'à traverser la route et on y est.

Nathalie traverse la route avec moi, puis juste avant le petit tournant qui me mène au fil d'arrivée, me donne une petite poussée dans le dos en me disant « Allez, je te laisse aller... ».

Puis elle disparaît.

Je l'ai recroisée plus tard et on a parlé longuement. On va se revoir, c'est certain. J'ai l'impression d'avoir rencontré une personne qui deviendra une précieuse amie.

Je suis enragée d'être tombée. J'allais trop vite pour rien, j'ai mal au cul et à mon orgueil. Je trouve ça stupide de se blesser ainsi. Je n'avais aucune raison d'être si téméraire à ce moment. J'ai pleuré beaucoup après la course... de fatigue, de rage, de déception... le nez collé sur l'accident, difficile de prendre du recul.

Je me console en me disant que, sans cette chute, j'aurais simplement croisé Nathalie dans le sentier, on se serait dit bonjour et ça aurait été ça, notre rencontre.

Le fait d'avoir été seule m'a permis de m'ouvrir comme jamais aux autres, et Nathalie est entrée dans ma vie.

Je vais raconter séparément la première partie de ma course... la partie où je n'ai pas vu d'ours et où j'ai rencontré un « lapin ».

À suivre...

Skyrace du mont Albert – 27 juin 2015 (partie II)
Kilomètre vertical du mont Albert – 26 juin 2015