mercredi 1 juillet 2015

Skyrace du mont Albert – 27 juin 2015 (partie I)

Je laisse derrière la femme avec qui que viens de passer deux longues heures d'ascension. Les cinq derniers kilomètres de la course accusent un dénivelé négatif de 1 000 mètres. Je suis passée par ce sentier rocheux la veille, mais l'endroit a eu le temps de sécher un peu, ce qui fait que c'est moins glissant. Il y a des sections dégagées, où je peux vraiment accélérer, et des sections de grosses roches, de racines et de petits cours d'eau, où je vais plus lentement. Je dépasse un groupe de filles avec qui j'étais au sommet, il y a quelques minutes.

Ça descend bien. J'ai presque fini. Je suis dans ma zone, mes pieds se posent au bon endroit. Ça fait plus de quatre heures que j'arpente la montagne, mais j'ai encore de l'énergie et l'adrénaline est au rendez-vous, car la ligne d'arrivée est à moins de trois kilomètres.

Stepping stone, stepping stone, stepping stone... touk, touk, touk, touk, touk, je suis un chat. Il suffit d'un pas posé au mauvais endroit.

La chute est brutale et l'onde de choc remonte jusque dans ma tête, ma vision devient trouble, je hurle. Ma première pensée : MES JAMBES! Est-ce que je peux bouger mes jambes? Ma deuxième pensée : Ça fait TRÈS mal. Une deuxième onde de choc. Je crie, j'essaie de bouger, mais pas trop. Je reste allongée dans la « marche d'escalier » que forme un amas de racines. Heureusement, des gens arrivent près de moi. Je réussis à me relever, on vérifie que tout est mobile dans tous les sens.

Tout est ok, je repars en marchant et je pleure. Pas tant parce que j'ai mal, mais parce que j'ai eu si peur. Peur de perdre l'usage de mes jambes. Et aussi probablement parce que je suis fatiguée.

Il ne fait pourtant aucun doute dans mon esprit que je suis capable de me rendre au fil d'arrivée en marchant. De toute façon, je suis derrière depuis le début. L'espoir de faire un bon chrono, je l'ai abandonné depuis longtemps. Je veux simplement finir en un morceau. En courant si possible. J'essaie de courir un peu. Ça fait mal, mais c'est possible. Je n'insiste pas.

C'est à ce moment que je rencontre... euh... ça peut sembler poche de dire ça comme ça, mais oui, ce jour-là, Nathalie est apparue au bon endroit, au bon moment, comme un ange.

Elle me demande si ça va, je lui explique que je viens de tomber sur le coccyx et que j'ai eu peur. Elle me dit qu'elle a déjà vécu quelque chose de similaire et qu'elle comprend. Elle me dit « Si t'as envie de pleurer, pleure maintenant, garde pas ça, laisse-le sortir ». Alors je pleure un bon coup. Elle me dit qu'elle marche pendant que son chum court le 100 kilomètres. Elle me propose de marcher avec moi vers le fil d'arrivée et j'accepte. On jase de nos vies, on découvre qu'on habite toutes les deux à Montréal et qu'on a énormément de points en commun. À un moment, elle me dit « On se connaît, Sophie. On se connaît ». On prend une petite photo en chemin pour immortaliser le moment. La petite auto appartient à mon fils.


Présente et effacée à la fois, elle me demande si je veux continuer seule ou avec elle. Je veux rester avec elle. Elle me dit « Ça tombe bien, je suis en réhabilitation et j'ai juste le droit de courir 3 km. Si tu veux on peut courir un peu, ici le sentier est beau ». Elle joggue devant, je me brasse derrière (parce qu'on peut pas appeler ça « courir »). La ligne d'arrivée est toute proche. Je n'ai plus de jambes. Il ne reste qu'à traverser la route et on y est.

Nathalie traverse la route avec moi, puis juste avant le petit tournant qui me mène au fil d'arrivée, me donne une petite poussée dans le dos en me disant « Allez, je te laisse aller... ».

Puis elle disparaît.

Je l'ai recroisée plus tard et on a parlé longuement. On va se revoir, c'est certain. J'ai l'impression d'avoir rencontré une personne qui deviendra une précieuse amie.

Je suis enragée d'être tombée. J'allais trop vite pour rien, j'ai mal au cul et à mon orgueil. Je trouve ça stupide de se blesser ainsi. Je n'avais aucune raison d'être si téméraire à ce moment. J'ai pleuré beaucoup après la course... de fatigue, de rage, de déception... le nez collé sur l'accident, difficile de prendre du recul.

Je me console en me disant que, sans cette chute, j'aurais simplement croisé Nathalie dans le sentier, on se serait dit bonjour et ça aurait été ça, notre rencontre.

Le fait d'avoir été seule m'a permis de m'ouvrir comme jamais aux autres, et Nathalie est entrée dans ma vie.

Je vais raconter séparément la première partie de ma course... la partie où je n'ai pas vu d'ours et où j'ai rencontré un « lapin ».

À suivre...

Skyrace du mont Albert – 27 juin 2015 (partie II)
Kilomètre vertical du mont Albert – 26 juin 2015

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