vendredi 3 juillet 2015

Skyrace du mont Albert – 27 juin 2015 (partie II)

Tu trembles, carcasse, mais tu tremblerais bien davantage si tu savais où je vais te mener.
Henri II de la tour d'Auvergne, vicomte de Turenne

Je ne serais peut-être pas arrivée à la ligne de départ à 7 h 59 si je n'avais pas passé 15 minutes au bloc sanitaire à sécher mes souliers mouillés de la veille, mais l'idée d'entreprendre 22 km les pieds mouillés ne me réjouissait pas. Une fois mes souliers secs, je saute dans l'auto pour me rendre sur le site du départ... quelque chose en moi a la frousse. Je ne veux plus faire la course. Pourtant, je suis tout habillée, j'ai ma veste d'hydratation sur le dos, mes souliers sont secs, je m'entraîne depuis des mois en vue de cette épreuve... pas question que je n'y participe pas! Quelle déception il me faudrait ensuite gérer!

Les mises en garde de la veille m'ont fichu la trouille. Que faire en cas d'orage si on se trouve sur le plateau? Se mettre en boule et prier, c'est pas mal ça. Que faire si on rencontre un ours, un orignal? Que faire si on se blesse, si on veut abandonner?, etc. Mais misère! Je ne vais pas m'empêcher de vivre l'une des expériences les plus extraordinaires de ma vie simplement parce que j'ai peur!

De toute façon il est trop tard, le départ est donné et nous sommes nombreux, la peur s'estompe pour laisser place à l'essoufflement. Je me fais allègrement dépasser. Je me retrouve vite derrière. Enfin, je ne suis pas seule, mais il suffit d'un petit ralentissement au bout de 45 minutes pour prendre un gel... pour perdre tout le monde de vue. Plus personne ni devant ni derrière, plus un son, juste le chant du bruant à gorge blanche.


Je suis seule sur la crête du mont Olivine. Le sol est composé d'immenses roches. Ce n'est pas encore la toundra, mais les arbres sont plus petits... et j'ai peur. Je ne profite pas du moment. Je n'admire pas la vue. J'ai juste peur. Un groupe de trois personnes apparaît. Je suis soulagée un moment, mais ils ont vite fait de redisparaître. Je ne comprends pas comment ils font pour courir ainsi dans ces grosses roches! Moi, je mesure mes pas, il me reste plus de 15 kilomètres à faire... je continue ma route.

Je descends le mont Olivine. J'en suis à 7-8 kilomètres. Là c'est le bout où vous pouvez rire de moi... Je suis seule. Dans la forêt dense. Les pieds dans la boue. Terrorisée. Aucun plaisir. Je m'imagine ne jamais revoir mon fils. Je me mets à faire du bruit. Je sacre. Je crie « Voyons! Chu tu la seule dans c'te course de marde-là?! Sont où, les autres?!? ». J'ai ma petite clochette à ours et je me mets à chanter des chansons pour faire encore plus de bruit. J'ai si peur que j'arrive mal à réfléchir, je ne me souviens plus d'aucune chanson. La seule qui me vient est « Il était un petit navire », puis ensuite des berceuses. Jamais berceuse n'a été chantée aussi fort.

J'en suis à chanter « Tape, tape, tape, roule, roule, roule, pique, pique, pique....» en courant et en braillant à chaudes larmes quand je croise des randonneurs en sens inverse.

« Are you the last one? », que le monsieur me demande... et moi, les larmes qui ruissellement sur mes joues : « I have no idea! I HOPE NOT! »

« Well, good luck ».

J'arrive à un embranchement et je vois deux gars qui reviennent d'un endroit... ils s'étaient visiblement trompés de sentier et reviennent sur leurs pas. On jase un peu. Je me dis intérieurement « Eux, je les laisse pas partir ». Un peu plus loin devant, je reconnais une femme que je suivais au début. Une longue tresse noire avec un sac à dos bleu et des bâtons de marche. Je la dépasse en lui disant « Lâche pas! T'es mon lapin depuis le début! ». Je l'ai instinctivement tutoyée, car, de dos, elle semblait plus jeune que moi... mais non! J'ai affaire à une femme d'âge mûr. Une tough. Mais je l'ai tutoyée et il est trop tard, on se tutoie... si on commence à faire des cérémonies dans le fin fond des bois, on va trouver le temps long.

On jase un peu, pas trop. On se suit sans se suivre. On se dépasse mutuellement par moments, mais on est définitivement au même rythme. On arrive au premier ravitaillement ensemble.

Sans réfléchir, je repars seule du ravitaillement, mais elle a vite fait de me rattraper. Les 5,5 kilomètres qui suivent nous mèneront au sommet du mont Albert. Une montée qui durera au moins 2 heures.

Peu à peu, la végétation disparaît et nous nous retrouvons dans ce qu'on appelle « la cuve ». Que des roches. Des grosses roches orangées qui reflètent du vert... comme l'intérieur d'un coquillage. À quelques endroits il faut traverser des cours d'eau. Nous sommes contentes d'être ensemble. On parle, mais pas trop. Quand on pense qu'on est presque arrivées au sommet, il suffit d'apercevoir au loin une silhouette humaine minuscule qui nous rappelle l'immensité du décor... le sommet est encore loin.

On monte, on monte, sans jamais s'arrêter, mais les jambes commencent à fatiguer... à quelques centaines de mètres du sommet, on s'arrête peut-être trois fois 15 secondes... juste le temps de reprendre l'esprit de nos jambes, on se pousse mutuellement, on s'interdit d'arrêter trop longtemps.


La végétation est magnifique. C'est la toundra. mousses, petites fleurs rampantes qui poussent en touffes entre les roches... un milieu hostile parsemé de fleurs délicates... et la neige... que ça fait du bien... la fraîcheur de la neige! Car depuis une bonne heure, peut-être plus, aucune ombre, aucun arbre, que de la roche.

Comme la veille, l'arrivée au sommet m'arrache une émotion particulière. Je ne pleure pas, mais j'ai comme un petit tremblement de soulagement... tout cet effort... enfin. Nous prenons quelques minutes dans le petit belvédère pour boire et prendre quelques photos... et pour finir par nous demander nom noms.

Il faut maintenant traverser le plateau. Dany est devant. Je cours/marche derrière sur le chemin en bois qui traverse le plateau, puis nous arrivons au deuxième ravitaillement avant d'amorcer la descente.

Juste avant la descente

 La suite de mon histoire se trouve ici

*** 

Depuis mon retour, j'essaie de prendre du recul par rapport à toute cette aventure et c'est très difficile. Je dis « aventure » parce que, au bout du compte, les courses n'ont fait que ponctuer ces cinq jours de voyage en solitaire. Voyager seule, se blesser seule, camper seule, démonter seule un campement en étant blessée... sans compter les visites aux membres de ma famille (morts et vivants)... c'était, on peut le dire, très dense.

Je me suis demandée si j'étais courageuse ou simplement téméraire, si ça valait la peine de se mettre ainsi volontairement dans le danger...

Je réfléchis encore... tout est dangereux, mais s'empêcher de vivre des aventures extraordinaires sous prétexte que ça comporte une part de danger, n'est-ce pas là se priver d'expériences incroyables qui nous font avancer?

Je n'ai pas pris tout le recul qu'il faut. Je sais en tout cas que j'ai gagné de l'expérience, que ma victoire a été non pas de franchir deux fois la ligne d'arrivée en deux jours, mais d'amener le petit Jeep de mon fils du point A, au point B... puis de le ramener, riche de toutes ses expériences et de ses rencontres, au point A.

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