lundi 27 juillet 2015

Retour sur le mont Albert (les larmes d'une fille tough) – Partie II

T'aimes ça les affaires tough? Ben c'est là que ça se passe, ma belle. ENJOY.

J'ai pas de photos de mon terrain de camping. Je ne voulais pas de souvenirs de ça!

Le matin du Skyrace, je n'ai pas mangé de façon optimale, je me suis brûlé la langue avec mon café et je n'ai pas eu le temps de me réchauffer. Dans l'auto, en me rendant sur le site, je tremblais. Je ne voulais plus faire la course. Mais je me disais que j'étais là et qu'il n'était pas question de ne pas la faire. Je ne raconterai pas la course ici pour ne pas me répéter. Si vous avez lu le récit de ma course (lien ci-dessus si vous n'avez pas lu), vous savez que je me suis blessée à deux kilomètres de la fin.

J'ai franchi le fil d'arrivée et j'ai aussitôt demandé qu'on m'emmène à la tente de l'infirmerie. On a mis de la glace sous ma tête et dans mon dos, et je suis restée allongée là, le petit Jeep de mon fils Philip encore bien serré dans ma main. Je l'avais sorti de ma veste après être tombée. C'est un truc que je fais depuis cet hiver, depuis que j'ai assisté à la conférence de retour de l'Antarctique de Frédéric Dion. Lors d'une course Québec-Montréal, il avait une petite roche dans sa poche qu'il déposait par terre chaque fois qu'il s'arrêtait. Quand il reprenait la route, il remettait la roche dans sa poche et l'emmenait encore plus loin... du point A au point B. Un pas à la fois. Ça m'a donné l'idée de faire la même chose avec les autos de mon fils. Je l'ai fait pour la première fois lors de mon premier demi-marathon d'hiver. C'est toujours Philip qui choisit la voiture. Cette fois-ci, je lui avais demandé sa voiture la plus rapide. Il m'a répondu « Le Jeep? ». Ben oui. Mets-en. Le Jeep!





Ma cousine devait m'attendre au fil d'arrivée, mais à l'heure qu'il est, elle n'est plus là. Il faut que je mange, mais je n'ai aucun appétit. Je retourne à mon campement. Ma cousine me trouve. Elle a fait le tour de tous les campings, et par un heureux hasard, elle me trouve. Ça fait du bien de jaser un peu. J'irai la voir sur le chemin du retour, le lendemain, à Cap-Chat. Elle m'offre d'aller dormir chez elle le soir même. Vu ma blessure, la nuit de camping pourrait être rude, mais je veux vivre mon histoire en solitaire jusqu'au bout. Je vais endurer ma nuit de camping.

Je mange un peu, je m'étends un peu dans ma tente. Je ne veux pas faire de sieste, car je sais que, si je fais ça, je vais dormir jusqu'au lendemain. Je reste un bon moment dans la tente. Je suis brisée, déçue, j'ai mal. Je voudrais aller prendre une douche, je n'ai même pas pris de douche la veille, vu le rush de monter mon campement et mes mésaventures d'ongulés. Je sens la charogne. Je ramasse mon courage, ma serviette, des vêtements de rechange et je me rends au bloc sanitaire. Ça prend 4 x 25 sous pour une douche de 4 minutes... j'ai pas de change, il faudrait que je retourne à l'accueil me faire faire de la monnaie, je n'ai pas cette énergie. Je retourne brailler dans ma tente. Puis je sais qu'il y a une zone wifi quelque part. Je me dis « Heille. T'es en camping. Assume. Y'a pas de Facebook icitte. Ok? ». Je reste encore un long moment dans la torpeur, dans ma tente. Le corps dedans, les pieds dehors... Ça fait 2-3 heures que la course est finie, j'ai encore mon linge de course sur le dos; j'ai même pas encore enlevé mes bas mouillés pis mes souliers pleins de bouette. Puis je me dis : « Heille. T'es blessée. T'as le droit d'y aller, gosser sur ton téléphone, si ça te fait du bien de connecter un peu avec tes amis. Y'a des limites à se la jouer tough. Quand on a le choix. Tsé. »

Je me fais donc le plaisir de me déchausser : aaaaahhhhhh! Je me lave à la débarbouillette et je me change pour me rendre au centre de découvertes, là où il y a du wifi... je suis beaucoup trop habillée! Il fait chaud! (ah mais là, tant pis, c'était assez compliqué et douloureux de me changer, je reste comme ça!) et je gosse sur mon téléphone, et ça me fait du bien... mais pas tant. Je revois les femmes avec qui j'étais la veille, à la réunion d'information. L'une d'elles me propose d'aller souper au gîte du mont Albert. J'aimerais ça, mais je suis crottée, je pue, et aller prendre ma douche me semble une épreuve insurmontable, je décline l'offre.

Ce soir-là, j'ai réussi à me faire un petit feu décent. J'ai mangé trois rangées de ma boîte de biscuits Feuille d'érable (j'ai mangé la dernière rangée pour déjeuner le lendemain). J'ai même réussi à m'asseoir un peu devant mon feu et à boire une bière. Mais j'avais tellement mal quand j'étais assise que j'ai bien vite arrêté d'alimenter mon feu. À 20 h 30, il faisait encore clair et j'avais la tête sur l'oreiller. À 20 h 31, je dormais.

J'ai dormi jusqu'à 10 h le lendemain matin.

Une autre épreuve m'attendait : décamper.

J'ai mal. J'ai même pas encore osé regarder mes fesses, j'ai peur de ce que je vais voir. De toute façon, ce matin, je décampe au plus vite et je vais rendre visite à ma cousine Natasha. Je vais lui demander si je peux prendre une douche. Ahhhh, une douche. Ça me motive à m'y mettre. Je commence tranquillement à ramasser mes affaires. Je braille assise à la table à pique nique. Je mange les derniers biscuits avec un gros verre de lait parce que heille, je le mérite. Je me fais un café que je laisse refroidir avant de boire. Tsé. Wôôô. Me ferai pas chier à matin. Ramasse, braille, ramasse, braille, braille, ramasse. C'est pas très important de raconter tout ça en détail, mais l'un des moments clés de mon aventure s'en vient. C'est un acte si banal, mais pour moi, un moment si important.

Le matelas.

C'est un matelas autogonflant. Je dois mettre mon poids dessus à mesure que je le roule pour bien le dégonfler. Faut être patiente. Y'est pas loin de midi, dans une tente, être patiente, avoir chaud, c'est du sport. Mais je le fais. Je viens de me taper, en deux jours, pas loin de 30 km et 2 000 mètres de dénivelé positif et négatif, l'effort physique le plus important de ma vie (mis à part accoucher, on s'entend). Je suis capable de rouler un matelas. Pis non seulement je vais le rouler, mais je vais le faire fitter dans son sac. Comme il était quand je suis arrivée. Ça prendra 4 heures s'il le faut, mais y va rentrer. J'ai chaud. Le matelas est à moitié rentré dans le sac. Voyons j'ai donc ben chaud! Je sacre. Ben oui, mais sors de la tente!!!

Ouf. Good enough. ça va être de même, je le laisse comme ça, je veux juste m'en aller.

Non.

Y'était dans son sac quand t'es arrivée, y va retourner dans son sac AU COMPLET.

Millimètre par millimètre, debout à côté de la table à pique-nique, je gosse... et je finis par tirer la corde du sac pour le fermer. Victoire! Pour le reste, tout va bien, démonter la tente est un pet, et hop! Ciao ciao! Je sais que d'autres épreuves m'attendent, comme celle de conduire avec un coccyx endolori, mais je m'en fous, je veux juste m'en aller.

J'arrive chez ma cousine, je lui demande si je peux prendre une douche. Elle me répond : « J'ai juste un bain ». Un bain!!! C'est encore mieux! Quelle bénédiction. Aaaaahhhh, prendre un bain chez ma cousine. Je me dis que, dans ma malchance, j'ai de la chance d'être dans un coin de pays où j'ai de la famille.

Je peux vérifier mon hématome, c'est pas trop pire. Après mon bain, on prend un café, on jase... ma cousine avec qui j'ai passé tous mes étés d'enfance... on ne se voit pas pendant 15 ans et c'est comme si on s'était vues la veille. Ça me fait un bien fou!

Je reprends la route pour Rimouski. Je veux juste arriver chez Hélène au plus vite et me reposer... Matane. Matane. Ok, à Matane, là, faut gazer, ok tout le monde? À Matane, mets du gaz. Y'a mille stations d'essence à Matane. Matane est la capitale de l'essence. T'en mets. Pas comme moi.

Moi je veux deux choses : 1) une poutine de cantine de bord de route (pis ça doit s'appeler « Cantine », pas « Restaurant ». « Casse-croûte » à la limite); 2) de l'essence parce que ma lumière clignote (encore). Mais de l'essence, là, y'en a pas jusqu'à Rimouski. Je surveille les cantines. « Ah, si je trouve une station pas loin, je vais revenir ici »... mais y'a jamais de station pas loin. J'en trouve une, yé!!! Mais elle est fermée. Grml.
Enfin, je réussis à me rendre à Pointe-au-Père.

J'arrive chez Hélène, je gosse sur mon ordi, puis je me couche pour la nuit.

Le lendemain, avant de repartir pour Montréal, je rends visite à ma tante Julienne. Elle me montre un beau film que son fils a fait sur elle. Un jour, il a dit : « Maman, je sais rien de toi, raconte-moi ». Il s'est installé dans un coin du salon et l'a filmée. Elle ne savait pas qu'il allait en faire un film... Après le visionnement, on s'est prises dans nos bras et on a pleuré, pleuré, pleuré... ma petite tante xxx Si vous avez une chance, allez voir le film. Ça dure 20 minutes... mais sortez vos kleenex.


Ouf... après 3 jours de braillage, je commençais à avoir envie de rentrer retrouver les miens. Après le dîner avec ma tante et ma cousine, le cœur gros, je suis partie pour Montréal en me demandant pourquoi il pleut tout le temps quand on s'en va.

Le chemin du retour a été douloureux physiquement, mais j'ai gardé mon réservoir à essence plein. J'ai retrouvé Patrick à la maison, sauté dans ses bras, éclaté en sanglots. « Je pensais plus jamais vous revoooooiiiirrr! ». Mon fils dormait, je suis allée l'embrasser.

***

Aujourd’hui, ça fait exactement un mois que je me suis blessée. Ça commence à aller mieux. J'ai recommencé à courir. Ma blessure m'a imposé un temps d'arrêt, m'a obligée à être douce, à privilégier le repos. Les semaines avant le mont Albert, je m'entraînais 12 heures par semaine, je surfais sur une vague et j'avais l'énergie. J'étais tellement entraînée que ma double ascension ne pas pas causé de courbatures (autres que celles liées à ma blessure). Mais je suis tombée de haut. Au moins de 2 kilomètres. La chute a fait mal, mais j'ai essayé de l’accueillir avec sagesse.

Mon aventure en Gaspésie ne s'est pas du tout déroulée comme dans mes rêves. Je savais que ça allait être difficile. Je savais même que ça allait être très difficile. La montagne, qu'elle soit physique ou métaphorique, il faut l'aborder humblement. Peu importe les circonstances, la montagne sera toujours plus forte que toi. La montagne, c'est l'incarnation de l'élément Terre. Puissante comme un raz-de-marée. 

Ça m'a pris un mois pour prendre le recul et pour commencer à réaliser l'ampleur de ce que j'ai vécu. La montagne était tellement grosse que je ne pouvais pas la voir dans son ensemble sans laisser le temps passer. Et je n'ai pas fini d'y réfléchir.

Une chose est certaine : malgré les difficultés que ça suppose, je souhaite à tout le monde de vivre au moins une fois dans sa vie ce genre d'expérience. D'aller affronter ses démons, seul. Ce qu'on en garde, c'est comme une pierre précieuse qu'on aurait trouvé au cœur d'une montagne.


Retour sur le mont Albert (les larmes d'une fille tough) – Partie I
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